Gus Van Sant a t-il encore des choses à dire ? Il semble que oui, même si dans Restless, sorti l'année dernière sans trop faire de bruit malgré une ouverture du Festival de Cannes, il ne les met pas forcément en boîte de manière optimale. Pour traverser l'heure et demie de ce Restless, il faut supporter une ribambelle de tics et de systématismes absolument chiantissimes et typiques de petits films indés ricains qui pourraient faire passer celui qui était bien au-dessus de tout ça il y a une dizaine d'années pour un disciple raté de Sam Mendès.
J'ai eu une inquiètude, légitime en voyant ces plans si fades du générique d'ouverture qui font penser aux séries pourries qui passent l'après-midi sur TF1, ou en prenant conscience que n'importe quelle prétexte serait bon pour nous coller cette saloperie de musique vide de Danny Elfman toutes les cinq minutes. En additionnant ces éléments au pitch du film, soit la rencontre amoureuse entre un garçon solitaire ayant une certaine sensibilité face à la mort et une fille pleine de joie de vivre atteinte d'un cancer, on est en droit de redouter le drame atroce et convenu, faux et abusif, que Restless n'est pas.
Car Gus sait tirer son épingle du jeu à de multiples reprises, et même s'il ne débarasse pas totalement son film de sentimentalisme lacrymal un peu lourd (et de ces détails de mise en scène agaçants) il parvient lorsqu'il l'évite assez habilement à rendre Restless touchant, et surtout drôle. Touchant et drôle car sa puissance et sa beauté émergent de l'ironie et de la plaisanterie plutôt que du sur-abus de mièvreries ; et même si c'est (comme souvent chez Van Sant) sujet à la mélancolie, le film ne tire pas incessamment sur la corde sensible de la pitié pour être émouvant. Van Sant y éxecute d'ailleurs une pirouette pour faire un joli pied de nez à ces mélodrames infâmes et surjoués, en parodiant ces derniers dans ce qui n'est qu'un jeu pour Annabel et Enoch, les deux protagonistes. Des personnages qui se révèlent très beaux, que ce soit dans leur approche visuel (la caméra ne les loupe pas) ou dans leur évolution dans cette histoire qui transcende un genre auquelle elle semblait condamnée d'emblée ; comment approcher la mort ? Van Sant la filme de différentes manières, lie le visible et l'invisible, les délie, les relie, au risque de tarabusquer un peu son récit (le personnage de Hiroshi et son retour, déconcertant et pas forcément en accord avec le reste du film), sans pour autant développer la question générale, mais juste en la posant avec sobriété et poésie à ses deux énamourés qui y répondent d'une jolie façon.