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vendredi 15 juin 2012

Restless


Gus Van Sant a t-il encore des choses à dire ? Il semble que oui, même si dans Restless, sorti l'année dernière sans trop faire de bruit malgré une ouverture du Festival de Cannes, il ne les met pas forcément en boîte de manière optimale. Pour traverser l'heure et demie de ce Restless, il faut supporter une ribambelle de tics et de systématismes absolument chiantissimes et typiques de petits films indés ricains qui pourraient faire passer celui qui était bien au-dessus de tout ça il y a une dizaine d'années pour un disciple raté de Sam Mendès.
J'ai eu une inquiètude, légitime en voyant ces plans si fades du générique d'ouverture qui font penser aux séries pourries qui passent l'après-midi sur TF1, ou en prenant conscience que n'importe quelle prétexte serait bon pour nous coller cette saloperie de musique vide de Danny Elfman toutes les cinq minutes. En additionnant ces éléments au pitch du film, soit la rencontre amoureuse entre un garçon solitaire ayant une certaine sensibilité face à la mort et une fille pleine de joie de vivre atteinte d'un cancer, on est en droit de redouter le drame atroce et convenu, faux et abusif, que Restless n'est pas.
Car Gus sait tirer son épingle du jeu à de multiples reprises, et même s'il ne débarasse pas totalement son film de sentimentalisme lacrymal un peu lourd (et de ces détails de mise en scène agaçants) il parvient lorsqu'il l'évite assez habilement à rendre Restless touchant, et surtout drôle. Touchant et drôle car sa puissance et sa beauté émergent de l'ironie et de la plaisanterie plutôt que du sur-abus de mièvreries ; et même si c'est (comme souvent chez Van Sant) sujet à la mélancolie, le film ne tire pas incessamment sur la corde sensible de la pitié pour être émouvant. Van Sant y éxecute d'ailleurs une pirouette pour faire un joli pied de nez à ces mélodrames infâmes et surjoués, en parodiant ces derniers dans ce qui n'est qu'un jeu pour Annabel et Enoch, les deux protagonistes. Des personnages qui se révèlent très beaux, que ce soit dans leur approche visuel (la caméra ne les loupe pas) ou dans leur évolution dans cette histoire qui transcende un genre auquelle elle semblait condamnée d'emblée ; comment approcher la mort ? Van Sant la filme de différentes manières, lie le visible et l'invisible, les délie, les relie, au risque de tarabusquer un peu son récit (le personnage de Hiroshi et son retour, déconcertant et pas forcément en accord avec le reste du film), sans pour autant développer la question générale, mais juste en la posant avec sobriété et poésie à ses deux énamourés qui y répondent d'une jolie façon.

samedi 2 juin 2012

Cosmopolis

Une limousine hi-tech, un Pattinson (convaincant, il faut le dire) le cul calé dans un siège et des interlocuteurs qui se relaient pour entretenir des discussions floues à base de palabres qui n'ont pas pour but la transparence ; Cronenberg fait un peu peur au début de Cosmopolis en nous laissant redouter que le film ne contienne que ça pendant 1h40. Sorte de réflexion critique sur le capitalisme qui reste assez évasive (et du coup ne se mouille pas trop en arguments), phrases philosophiques balancées presque au hasard, branlette verbale à tout bout de champ...le ton est assez vite donné et si la forme évolue à un certain moment le fond reste sensiblement le même. J'ai tenu quand même jusqu'au bout de ce long-métrage qui demeure assez intriguant et prenant grâce à sa beauté plastique, et certaines de ses images floues et évocatrices justement, comme les fameux rats, ou cette obsession du coiffeur.

Cosmopolis sème ce qu'il faut pour maintenir le spectateur en éveil sans nécessairement faire l'effort de lui faire biter quoique ce soit ; la longue scène finale en est l'exemple type, avec ses répliques qui finissent par complètement s'emmêler dans le cerveau en un imbroglio philosophico-économique dont on peine finalement à saisir la substance, mais qu'on gobe jusqu'au bout, si l'on parvient à être hypnotisé par cet échange mystique entre Pattinson et Giamatti armés de leurs deux pétards. Richesse et complexité ou simple pose et jolie prose ? C'est là l'ambigüité du film de Cronenberg (qui n'a pas du tout l'air décidé à en dire plus que la caméra - cf ses récentes interviews) qu'on peut voir à sa guise comme un tas d'artifices sans fond ou comme une fresque aux images abstraites et parfois percutantes, relativement analysables, mais dont on peut se demander si elles sont présentées de la bonne manière. Car le film est compréhensible dans son ensemble, il a sa cohérence interne, ses thèmes et ses réflexions (à la manière du roman source, paraît-il) ; le bémol c'est que ses dialogues (99% du film) s'embourbent et finissent par sonner creux à défaut de l'être vraiment, et on se raccroche alors à ce qu'on peut. Car Cosmopolis n'oublie pas, heureusement pour nous, d'être du cinéma plutôt qu'une pièce de théâtre ratée qui aurait voulu un peu trop la jouer à la Beckett, la viscéralité et l'humour en moins. Dommage que Crony ne dépasse pas assez le cadre de l'exercice de style servant à caser ses répliques en bonne et due forme plutôt que de laisser libre cours à une inventivité qui aurait rendue la chose plus marquante.

jeudi 31 mai 2012

Moonrise Kingdom

Ça fait même pas deux heures que j'ai vu Moonrise Kingdom et pourtant je ne rechignerai pas à le remater, là, tout de suite. Pourtant il n'est pas ultra génial, mais il est parsemé d'excellents moments, qui compensent les plus faibles. C'est un peu ça, le dernier Wes Anderson : une mise en scène assez inégale, avec ses tics agaçants mais aussi ses élans de génie, trop modérés malheureusement. On serait en droit de crier à l'arnaque artistique (comme face à un certain cinéaste gothico-pubère dont je tairais le nom et qui vient de sévir à nouveau), à devoir subir cette utilisation systématique du filtre jaunissant pour créer un effet "sixties", cette musique envahissante ou ces scènes d'action misant sur la loufoquerie des effets pour arracher au spectateur un sourire (gêné, pour ma part). Mais ce serait sans compter sur la capacité du film à transformer son sens du burlesque et de la fantaisie en quelque chose de touchant, de beau et de mémorable ; les deux jeunes acteurs principaux sont absolument magnifiés par la caméra et nous servent des scènes d'une poésie et d'une beauté rare. A d'autres moments, c'est une comédie légère et grave à la fois, qui parvient à créer une sorte d'atmosphère difficilement descriptible mais assurément marquante, comme enfantine, mélancolique et surréaliste, un peu à la manière de Mais qui a tué Harry ? du bon Hitchock. Le film ne manque pas de défauts mais ceux-ci se font aisément pardonner, pour moi, tant les qualités et les détails m'ont séduit. J'en suis ressorti content. En plus, Bruce Willis a des cheveux.

Take Shelter

Take Shelter a réussi le pari de jouer la sobriété et la subtilité tout en abordant de plein front le sujet en vogue de la fin du monde. Mais c'est à se demander si Jeff Nichols ne nous parle pas plutôt ici de la fin d'un monde ; celui de son personnage Curtis (sublimement interprété par Michael Shannon) dont les tourments, qu'ils soient légitimes ou paranoïaques, vont mener à un changement inévitable, ou encore la fin d'un système, dont le protagoniste se prend les failles et les contraintes en pleine gueule. Un beau film, fin, dont les scènes s'enchaînent comme une lettre à la poste et réclament pourtant revisionnage, pour cette beauté qui émerge de la simplicité mais non de la facilité ; beauté des plans, beauté des acteurs, des émotions.
Le récit se construit lentement mais ne perd pas en intérêt, malgré une certaine impression de linéarité qui vient probablement du rythme assez pesant de la narration, rythme qui lui confère tout de même une atmosphère impressionnante, de la scène d'ouverture jusqu'à la dernière que l'on peut trouver à son aise allégorique ou littérale. Car contrairement à Von Trier qui en faisait un peu des tonnes par moment, Nichols ne filme pas le désespoir hystérique et n'a pas besoin d'un truc aussi gros et visible qu'une planète pour harceler le spectateur; l'expectative anxieuse d'une tornade dont on ne sait comme Curtis si on doit y croire ou non avant la réponse finale, suffit.
Une petite bourrasque de fraîcheur.